L’Europe peut-elle imposer vraiment l’AI Act aux sociétés étrangères ?

Le 2 août 2025 marque un tournant pour l’intelligence artificielle en Europe. Avec l’entrée en vigueur des premières obligations de l’AI Act, l’Union européenne ne s’adresse pas seulement aux entreprises basées sur son territoire. Comme pour le RGPD, la loi a été pensée pour avoir une portée extraterritoriale : toute société étrangère dont les systèmes ou modèles d’IA sont utilisés en Europe devra s’y conformer, sous peine de sanctions.
Mais la question reste ouverte : l’Europe peut-elle réellement imposer l’AI Act à des sociétés étrangères comme OpenAI, Google, Anthropic, DeepSeek ou Alibaba ? Et surtout, comment assurer un contrôle effectif au-delà des frontières européennes ?
AI Act et extraterritorialité : un cadre juridique ambitieux
L’AI Act s’applique à toute société proposant un système d’IA ou un modèle GPAI (les grands modèles d’IA générative généralistes) sur le marché européen, que cette société soit implantée à Paris, San Francisco ou Pékin.
Concrètement, cela signifie :
- Qu’une entreprise étrangère qui met un modèle d’IA à disposition d’utilisateurs européens doit respecter l’AI Act.
- Qu’une société hors UE utilisée en Europe entre également dans le champ d’application.
👉 Exemple : Un outil comme ChatGPT (OpenAI) ou Gemini (Google) est directement visé, tout comme les autres modèles utilisés en Europe.
Le principe juridique existe. Mais comme pour le RGPD, l’application extraterritoriale pose la question des moyens de contrôle et d’exécution à l’international.
L’exécution extraterritoriale : le talon d’Achille de l’AI Act
L’expérience du RGPD a montré que si l’UE a pu sanctionner des acteurs américains comme Meta ou Amazon, cela a été possible car ces entreprises disposent de filiales et d’actifs en Europe. Les autorités peuvent alors agir par le biais d’amendes ou d’injonctions.
Mais pour des acteurs sans présence physique dans l’UE (ex. start-up IA asiatique), la mise en œuvre devient complexe :
- Comment détecter une non-conformité si la société n’a pas d’entité légale en Europe ?
- Comment exécuter une sanction à l’international sans accord bilatéral ou pression commerciale ?
Comme le rappelle White & Case dans son étude sur l’extraterritorialité de l’AI Act, l’efficacité réelle dépendra de la coopération internationale et de la capacité de l’UE à exercer des pressions économiques ou réglementaires.
Pressions économiques et politiques : l’Europe face à la realpolitik
L’AI Act ne s’applique pas dans un vide politique. Les tensions commerciales avec les États-Unis et la Chine sont déjà palpables.
- Les États-Unis : L’administration américaine, sous Trump ou Biden, a montré sa réticence à accepter des sanctions européennes contre ses entreprises technologiques. Trump a déjà utilisé les droits de douane comme levier de pression, comme l’a rappelé Le Monde.
- La Chine : Les sociétés chinoises, souvent soutenues par l’État, pourraient opposer des barrières réglementaires ou commerciales.
Dans ce contexte, l’application extraterritoriale risque de devenir un enjeu de négociation commerciale, plutôt qu’une simple application réglementaire.
Les difficultés techniques et juridiques pour les sociétés étrangères
Même pour les sociétés souhaitant se conformer, les obstacles sont nombreux :
- Absence de référentiels techniques clairs avant 2026. Les entreprises doivent naviguer à vue, ce qui accroît l’incertitude.
- Flou des critères de classification des IA à haut risque, pouvant entraîner une sur-classification et des obligations disproportionnées.
- Coût élevé de conformité : audit des datasets, documentation technique, résumés de données.
Ces points sont particulièrement critiques pour des sociétés étrangères sans présence locale, qui devront investir massivement dans la mise en conformité, parfois pour un marché secondaire.
Un équilibre entre ambition et pragmatisme
L’Europe veut afficher une ambition forte en matière d’éthique et de régulation. Comme l’indique Politico, la philosophie est claire : encadrer l’innovation tout en protégeant les utilisateurs.
Mais dans les faits, l’application extraterritoriale nécessitera :
- Des alliances réglementaires avec d’autres pays.
- Des leviers commerciaux pour inciter à la conformité (accès au marché européen conditionné au respect de l’AI Act).
- Des moyens techniques de contrôle, encore en construction.
Comme pour le RGPD, le succès de l’AI Act se jouera autant sur le plan politique et économique que juridique.
Veux-tu que je poursuive avec les scénarios concrets d’application extraterritoriale (cas OpenAI, Baidu, Anthropic) et les conséquences possibles pour l’écosystème IA mondial ? Cela permettrait d’illustrer la portée réelle de l’AI Act et de renforcer l’argumentaire.

Scénarios concrets d’application extraterritoriale de l’AI Act
Pour comprendre la portée réelle de l’AI Act vis-à-vis des sociétés étrangères, il est utile de se pencher sur quelques acteurs emblématiques.
1. OpenAI (États-Unis)
- Pourquoi concerné ? ChatGPT est directement accessible au public européen via site Web et API. Son usage est massif dans l’UE, ce qui le place sans ambiguïté dans le champ d’application de l’AI Act.
- Enjeux de conformité : OpenAI devra fournir un résumé des données d’entraînement, détailler les mesures de sécurité et produire une documentation technique complète.
- Difficultés possibles : Les États-Unis pourraient s’opposer à certaines obligations (notamment la transparence sur les datasets, très sensible en matière de propriété intellectuelle). Comme pour le RGPD, la conformité pourrait passer par une entité juridique européenne chargée de répondre aux autorités.
- Risque : Un bras de fer diplomatique similaire à celui observé avec le Privacy Shield (RGPD).
2. Anthropic (États-Unis)
- Pourquoi concerné ? Claude est largement utilisé dans des solutions B2B et intégrations SaaS en Europe.
- Enjeux de conformité : Anthropic devra non seulement fournir un résumé des données, mais aussi démontrer les mesures de réduction des biais et risques systémiques, compte tenu de la taille de ses modèles.
- Particularité : Anthropic est financé par Amazon et Google — deux entreprises déjà très surveillées par l’UE. Cela peut faciliter l’application indirecte de l’AI Act via les partenaires technologiques, qui seront eux aussi responsables de la conformité.
3. Alibaba Cloud / Tongyi Qianwen (Chine)
- Pourquoi concerné ? Alibaba propose des modèles d’IA générative (Tongyi Qianwen) et des services cloud accessibles en Europe.
- Enjeux de conformité : La difficulté principale vient du contrôle politique exercé par la Chine sur ses géants technologiques. Une coopération réglementaire directe entre l’UE et la Chine est incertaine.
- Risque : En cas de non-conformité, l’UE pourrait limiter l’accès de certaines solutions Alibaba en Europe, à l’image de ce qui a été fait avec certaines technologies de télécommunications (Huawei).
Conséquences possibles pour l’écosystème IA mondial
L’AI Act pourrait devenir un standard international de facto, comme le RGPD :
- Alignement volontaire : De nombreuses sociétés étrangères pourraient adapter leurs modèles au standard européen afin de conserver l’accès au marché de l’UE. Cela a déjà été observé avec le RGPD, où même des entreprises hors UE appliquent des règles similaires pour harmoniser leurs processus.
- Fragmentation réglementaire : Les différences entre les règles européennes, américaines, chinoises et d’autres juridictions pourraient créer un marché segmenté, avec des modèles adaptés à chaque zone. Cela augmenterait les coûts et ralentirait l’innovation.
- Pression concurrentielle : Les sociétés européennes pourraient souffrir de coûts de conformité plus élevés que leurs concurrents étrangers.
- Effet sur l’open source : Les communautés open source (Hugging Face, Stability AI, projets open-R1) devront clarifier la manière dont elles respectent les obligations, notamment sur la transparence des données.
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